Les critères d’intégration d’une photographie au sein d’une collection
Un tirage photographique est une pièce dont il est difficile, au premier regard, d’en déterminer l’originalité et la stabilité des matériaux qui le constituent dans le temps. Faire entrer une photographie dans une collection s’accompagne d’une analyse technique pour déterminer sa pertinence au-delà des considérations esthétiques et scientifiques.
Tirage original, tirage vintage, contretype, Fac-similé : l’implication de l’auteur
Tout d’abord, le tirage doit être situé dans son contexte de production. Il s’agit de savoir à quel point l’auteur est impliqué dans la création du tirage.
Nous définirons ici 4 statuts :
- Le tirage vintage (tirage d’époque) est contemporain à la prise de vue. Il peut être un document de travail du photographe en vue de la création de ses tirages futurs. Celui-ci peut être signé et constitue alors une pièce unique. Il est le tirage qui a le plus de lien avec l’auteur au point qu’il peut avoir des traces de manipulations du photographe. Au sein de la collection Francès, Gérard Fieret joue d’ailleurs de ce statut en signant et tamponnant des tirages de façon ostentatoire sur leur face.
- Le tirage original tardif est réalisé, à partir du négatif original, par le photographe ou sous son contrôle. Il porte une date éloignée de la prise de vue mais sa création constitue un choix de l’auteur qui se doit alors de les signer et les numéroter pour en garantir l’originalité.
- Le contre-type est une épreuve qui n’est pas réalisée à partir du négatif original. Il s’agit de la reproduction photographique d’un tirage ou une réalisation à partir d’un négatif non-original. Certaines œuvres imposent ce procédé quand le négatif original est détérioré ou quand l’auteur utilise d’autres procédés sur sa photographie originale (crayon, collage, superposition …). Il constitue alors un objet photographique de différente nature que l’original mais qui peut apporter une meilleure lisibilité de l’image dans certains cas ou simplement être le seul moyen de reproduction d’un travail « artisanal » d’un artiste.
- Le Fac-similé, à la différence du contre-type, tend à se rapprocher techniquement de l’original d’époque en terme de processus de réalisation, de support et de format. Il peut être obtenu par reproduction ou à partir du négatif original. A la différence de l’original, sa création échappe au contrôle de l’auteur.
En plus d’une indication sur la valeur d’une photographie, le contexte de production, lorsqu’il est au plus proche de l’auteur permet de rendre compte de l’attente de rendu du photographe. Le tirage est une partie intégrante de son travail et ses choix en terme de technique d’impression et de support composent sa démarche d’artiste.
La Fondation Francès comptait par exemple deux éditions d’une photographie d’Edward Sheriff Curtis, Vanishing race (1904). L’un était un tirage argentique et l’autre un tirage vintage orotone avec un cadre original. L’artiste utilisant largement la technique de l’orotone pour ses tirages et celui-ci étant d’époque, la fondation s’est séparé de l’édition argentique après l’acquisition de ce vintage. La fondation a en soi « complété » sa collection d’une information supplémentaire sur la démarche de l’artiste en se rapprochant techniquement du rendu attendu par celui-ci. En effet, le procédé orotone utilisé par Edward Curtis donne à ses œuvres un rendu très caractéristique. Il s’agit de tirer des positifs très clairs sur une plaque de verre puis les recouvrir d’un vernis de couleur bronze.
Quelques techniques de tirage récurrentes
Identifier une technique de tirage est difficile. Pour le collectionneur comme pour le régisseur, son jugement se fera en premier sur la documentation accompagnant l’œuvre et, si l’encadrement le permet, sur le revers de la photographie. Il s’agit à chaque fois de chercher une suite d’indices (signature, numéro d’édition, cartel, certificat d’authenticité…) qui permettront d’identifier à la fois le contexte de production du tirage et sa technique (la technique peut d’ailleurs être un indice sur l’originalité de la photographie, il n’existe par de tirage original numérique d’Eugène Atget !).
La technique la plus fréquente rencontrée sur les photos noir et blanc du 20ème siècle reste le tirage au gélatino-bromure d’argentique (autrement appelé tirage argentique). Il consiste en une feuille de papier recouverte d’une émulsion de gélatine contenant du sel d’argent sensible à la lumière. La surface est alors soumise à une lumière passant à travers le négatif créant une image latente. Pour voir l’image, le papier doit alors passer par un bain chimique alcalin (aussi appelé bain révélateur) qui va transformer les sels d’argents en argent métallique noir. Un second bain d’arrêt acide est alors nécessaire pour stopper le processus du révélateur. Vient ensuite le fixateur (le thiosulfate de sodium) qui permet d’éliminer les sels d’argent non exposés qui pourraient noircir à la lumière ambiante. Enfin, le tirage est lavé pour éliminer le fixateur qui pourrait attaquer dans le temps les sels exposées à la lumière définissants l’image.
D’autres bains peuvent être utilisés pour produire ce que l’on appelle des virages. En effet, ce processus permet d’avoir un noir neutre. Les virages au souffre (sépia) ont par exemple été populaires au début du 20ème siècle. D’autres solutions existent comme le virage au platine ou au sélénium. Pour faire varier les contrastes ou la brillance d’un tirage argentique différents types de papier peuvent également être utilisés. Le papier baryté par exemple dispose d’une couche de sulfate de baryum entre l’émulsion et le support. Ce pigment blanc se mélange alors à l’émulsion lors de la réaction chimique et augmente les blancs et la brillance de la photographie. Inversement, l’amidon permet de rendre mat le tirage. A partir de la fin des années 60 un support papier enveloppé par deux couches de polyéthylène appelé papier RC est développé. Celui-ci permet un temps de séchage plus rapide et dispose d’une couche de pigment blanc du côté de l’émulsion qui joue le rôle de blanchisseur comme le sulfate de baryum ou les azurants optiques qui sont développés depuis les années 50 pour améliorer le rendu des blancs.
Tout ces procédés et éléments chimiques font qu’un tirage argentique peut avoir de nombreuses variantes. Les différentes étapes demandant l’intervention humaine, un aspect presque artisanal définit ce type de tirage et en fait sa qualité esthétique. Il s’agit également de photographies qui ont une grande stabilité à la lumière mais qui sont sensibles à l’humidité, aux polluants et à la chaleur. Cela évidemment à cause du support papier mais aussi à cause de l’oxydation de l’argent ou des pigments blancs (ceux du papier RC est à base de dioxyde de titane). Un mauvais processus de fabrication peut également être à l’origine de la dégradation de ce type de tirage. Un lavage peut par exemple faire apparaître des tâches jaunes ou brunes avec le temps.
Le cibachrome (ou c-print) reprend le principe d’émulsions sensibles à la lumière. Utilisé pour les tirages couleurs le support dispose de 3 couches chacune sensible à une des trois teintes de la synthèse additive (jaune, magenta, cyan). Il fonctionne par destruction des colorants proportionnellement à la quantité de lumière reçue. Il permet une grande stabilité des couleurs dans le temps et garantie un rendu net avec des couleurs intenses. A partir de 1991, ce procédé est appelé lifochrome du nom de la société qui développait cette technique. Malheureusement, cette entreprise a fait faillite en 2013. Ce type de tirage est donc appelé à disparaître avec le temps pour les tirages contemporains.
L’une des alternatives pour la photographie contemporaine est bien sûr le tirage numérique. Obtenu à partir d’un fichier numérique ou du scan d’un négatif, ces tirages sont imprimés par jet d’encres avec colorants ou pigments d’origine organiques (plus résistants à la lumière, à l’humidité et aux gaz). La qualité de l’image dépend alors du nombre de pixels du fichier d’origine et de l’encre utilisée. Des recherches sont menées pour développer de nouvelles encres d’ailleurs. Déjà en 2000 est commercialisé par la société Inkjetmall un nouveau procédé de tirage numérique noir et blanc appelé piezographie. Ces impressions utilisent des encres carbones aux pigments de charbon qui offrent au tirage numérique la qualité visuelle d’une photographie argentique.
Le tirage numérique, plus rapide et plus sûr que le tirage argentique présente néanmoins une difficulté quant à l’originalité d’une impression. Un photographie devient une œuvre d’art, si elle porte la signature de l’artiste et un nombre d’édition des tirages par l’artiste limité à 30 exemplaires.
En conclusion
La photographie lorsqu’elle est intégrée à une collection doit correspondre à un projet. Si l’approche du collectionneur est la recherche d’un original ancien alors il devra prendre en compte la fragilité dans le temps de tel tirage et adapter le climat de sa réserve (notamment en terme d’humidité relative). Sa valeur et sa fragilité inclus également de limiter son temps d’exposition. La dégradation à la lumière étant cumulative elle présente un risque pour toute photographie. Si les conditions de conservation de la collection ne conviennent pas à l’oeuvre et/ou si cette collection se diffuse à travers différentes expositions, il est préférable d’utiliser des tirages plus tardifs.
En conclusion, il y a sur le marché des variantes de valeur en fonction de l’originalité et de la technique de tirage, l’acquisition d’une photographie doit aussi prendre en compte l’usage spécifique de l’œuvre dans la collection.
Visuel en-tête : Edward Sheriff Curtis, The vanishing race, 1904, tirage gélatino-bromure (orotone), 378-04, 39 x 53 cm © collection Fondation d’entreprise Francès