mercredi 05 mai 2021
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La restauration des peintures contemporaines de Papouasie Nouvelle-Guinée

Durant l’été 2018, Estelle et Hervé Francès voyageaient en famille le long de l’immense fleuve Sepik (Papouasie Nouvelle-Guinée) et découvraient les rituels et pratiques papous. À cette occasion, ils collectèrent quelques sculptures, masques, dessins et toiles papous. Stockées par un agent touristique pendant de longues semaines, il aura fallu plusieurs mois pour trouver les interlocuteurs compétents pour prendre en charge ces œuvres en Papouasie Nouvelle-Guinée et les transporter jusqu’en France. Un grand soulagement et une belle excitation furent ressentis à leur réception et les constats d’états ont pu être réalisés.

Concernant les toiles arrivées libres de toute protection et roulées, il est pointé un important empoussièrement et encrassement généralisé sur l’ensemble des toiles. Au cas par cas, elles ont été vérifiés avec soin, relevant chaque altérité qui ne saurait se prévaloir originelle, souhaitée par les artistes.

En l’occurrence, le contexte doit être restitué : les peintures ont été créées par trois artistes, vivant et exerçant leur art au cœur des villages papous aux traditions ancestrales le long du fleuve Sepik. Les conditions de conservation que nous observons en Europe sont totalement différentes, le climat par exemple, présente un taux d’humidité extrêmement haut et des températures chaudes. De même que l’homme doit s’adapter au climat sur place, quand les œuvres arrivent en France, il est nécessaire d’observer un temps d’acclimatation impératif.

Il est aussi nécessaire, pour offrir aux œuvres la meilleure préservation possible dans le temps, d’identifier les matériaux qui constituent ces œuvres : les toiles sont en coton libre, coupées à la main, sans aucun traitement (les bords des toiles sont effilochés en grande partie par les différents mouvements et la transformation naturelle des fibres, les bordures ne sont pas collées).

Les artistes disposent de ressources naturelles collectées ou transformées sur place mais aussi de produits (peintures, à l’huile notamment) qui leur ont été offerts à l’issus de différents voyages et collaborations. À ces peintures ont été mélangées des pigments divers, peu documentés, apportant certaines textures et grains aux tableaux.

Après avoir finalisé les constats initiaux, ARROI a consulté quelques restaurateurs spécialisés et a confié à l’Atelier Julie Pouillon la restauration et le bichonnage (dépoussiérage et nettoyage) des toiles, complété par un traitement généralisé de stabilisation des supports.

Certaines toiles ont présenté quelques pertes de matières, soulèvements et lacunes en faible nombre mais révélateur d’une fragilité de la technique employée, une adhérence au support reste à surveiller et des manipulations à mener avec précautions ; d’autres présentent des zones d’écaillage de la peinture : une en particulier, au niveau des zones blanches, attestant d’un problème de cohésion de la matière, nous supposons que les différentes couches de peintures ont été réalisées sans temps de séchage suffisant entre leurs différentes applications, mais peuvent aussi être révélatrices du milieu et de la forte hygrométrie dans laquelle elles ont été réalisées.

Les œuvres se composent d’une toile de coton libre (non montées sur un châssis) surmontées d’une couche picturale ; composées elles-mêmes, d’une couche d’encollage, d’une couche de préparation blanche et d’une couche colorée composée hypothétiquement de pigments liés à un liant organique et/ou de matière peinte d’origine naturelle.

Les supports au revers présentent un encrassement assez prononcé de leur matière. Les toiles présentent toutes des bords effilochés ; cela étant dû à la découpe préalable du substrat. Enfin et concernant les couches picturales, ces dernières présentent parfois un encrassement généralisé de leur surface (poussières volatiles, copeaux de bois ainsi que de la crasse que l’on suppose grasse, plus ou moins marquée en fonction des toiles).

La réflexion préliminaire sur les traitements à apporter sur chacune des toiles a permis d’interroger les limites de la matière. Grâce aux tests, il a été possible de voir jusqu’où la peinture tenait, si elle ne dégorgeait pas, et a permis à la restauratrice d’adapter son traitement au regard de la résistance des matériaux constitutifs des œuvres. On se demande alors jusqu’où une intervention est souhaitable : aller suffisamment loin dans le nettoyage pour redonner l’éclat et la lisibilité de la peinture, sans pour autant la déformer ou retoucher. L’ensemble, même imparfait, se doit d’être cohérent, et préventif, pour que la restauration ne produise pas une démarcation visible sur l’œuvre, qui se remarquerait au premier coup d’œil. Ce travail, fin, tant dans le geste que dans l’appréciation, a su être mis en œuvre au fil du processus, avec des points réguliers et des solutions choisies dans un commun accord.

Sur chacune des toiles, au cas par cas, les interventions suivantes ont été réalisées par l’Atelier Julie Pouillon :

  • Aplanissement du support toile (transportées roulées, les toiles sont mises sous presse).
  • Décrassage à sec du revers du support toile : retrait de l’encrassement volatil à l’aide d’un pinceau doux et d’un aspirateur adapté.
  • Consolidation des bords effilochés du support toile (revers) et possible refixage de peinture en surface.
  • Décrassage superficiel total ou partiel de la couche picturale : retrait de la poussière volatile au pinceau doux et retrait des copeaux de bois au scalpel.
  • Décrassage aqueux global de la couche picturale et tests préliminaires de la résistance de la peinture et des couleurs à l’eau et tests de décrassage

Consolidation des bords effilochés du support toile (revers) et possible refixage de peinture en surface :

Sur trois toiles en particulier :

  • Décrassage aqueux ponctuel limité aux zones présentant des traces blanchâtres (assimilées à de la boue) et retrait/estompage des auréoles de crasse.
  • Refixage ponctuel de la couche picturale (zones en soulèvements).
  • Dépose des agrafes oxydées et retrait des éventuelles traces de rouille.

Atténuation de l’auréole de crasse après nettoyage :

La réflexion se porte désormais sur l’encadrement de chacune des toiles afin de préserver et mettre en valeur ces peintures uniques, dans l’attente de leurs futures expositions.

 

L’Atelier Julie Pouillon :

https://www.juliepouillon.com

 

Restauratrice de peintures, objets et arts graphiques classiques et contemporains. Julie Pouillon propose aux collectionneurs et galeries de sauvegarder leur patrimoine dans le respect du bien et selon les codes déontologiques en vigueur dans la profession.

Images : © Photographies Arroi © Collection Francès