mardi 23 juin 2020
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Le verso : une archéologie des œuvres d’art

Dans le cadre des expositions, le dos d’une œuvre est le plus souvent caché et pourtant il la caractérise souvent. Si le recto est généralement l’objet de contemplation du public, le verso est le plus souvent dédié à sa documentation.

Il contient, en effet, une mine d’informations pour le régisseur notamment.

Retourner une œuvre permet parfois d’en préciser la technique ou d’identifier le support et il s’agit également de récolter des indices sur la vie de l’œuvre.

Son caractère unique et original est fréquemment garanti par la signature de l’artiste et la date de création (pour la photographie, parfois accompagnée d’un numéro d’édition et du nom de celui qui a réalisé le tirage).

Son parcours y est aussi inscrit. Au delà de l’usure du dos, des étiquettes, des tampons ou des inscriptions décrivent la vie de l’œuvre en identifiant son propriétaire, un encadreur, un restaurateur ou même un transporteur.

Ces informations permettent de documenter de façon précise l’œuvre et parfois elles contiennent des pépites.

La collection Francès possède quelques exemples qui l’attestent. Pour exemple, l’édition Okkio per Okkio (2005) de Robert Gligorov possède un dessin signé et réalisé par l’artiste au dos du tirage. Intitulé Samuraï, réalisé en 2006, ce dos est comme une deuxième œuvre originale. Les raisons de la présence de ce dessin au dos d’Okkio per Okkio reste pour l’instant une énigme.

 

Il arrive également que des erreurs se glissent au verso d’une œuvre. C’est le cas pour deux photographies de Gérard Rancinan. 3 tirages de la série « Éloge de la différence » sont présents dans la collection Francès dont Jennifer, et Jeffrey. Les étiquettes au dos de ces deux œuvres ont été inversées. Cette erreur emphase la démarche de l’artiste sur la question du genre. En effet, sur ce portrait, Jennifer, prénom féminin, porte une barbe. Cette confusion témoigne d’une lecture tronquée de l’apparence, or l’artiste dans cette série photographique met en évidence la singularité des individus et fait l’éloge de leurs différences.

 

Notons aussi, la célèbre photographie d’Eddie d’Adams représentant le moment d’exécution d’un combattant communiste, du Front national de libération du Sud Viêt Nam, par le général Nguyen Ngoc Loan, chef de la police nationale sud-vietnamien le 1erfévrier 1968 dans les rues de Saigon, une violence inouïe.

Sur le dos de ce tirage mythique sont précisées l’identité du général et une description des faits. Différents tampons et inscriptions manuscrites indiquent la notoriété de cette photographie (Prix Pulitzer 1968) qui témoigne du contexte violent de la guerre du Viet-Nâm, mais aussi des usages qui en sont faits. En effet, la circulation limitée de cette image n’est pas une conséquence esthétique mais bien politique. Ce tirage étant un contemporain de l’époque, il  est marqué de ses censures.

 

Il est d’un intérêt scientifique et documentaire de retourner les œuvres, le dos est signifiant, on y trouve des preuves matérielles qui composent une archéologie de l’œuvre. Une observation indispensable sur l’œuvre pour poursuivre nos recherches et éventuellement révéler un signe, un détail tout élément qui composera la matière historique de l’œuvre, son contexte de création et son expérience de diffusion.

L’œuvre est un objet vivant qui se transforme au fil du temps, son visage peut porter quelques stigmates mais son dos trace sa vie du moment de sa création à sa circulation, comme un ADN humain le dos compose et forme l’épaisseur de l’œuvre.

 

Visuel : Revers de l’oeuvre de la collection Francès. Eddie Adams, Moment of execution, Vietnam, 1968, tirage vintage, 16 x 21 cm, encadré. Au revers du cadre, un passe partout donne à voir les inscriptions, tampons et étiquette explicative dissimulés au dos de la photographie.