jeudi 23 avril 2020
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L’impact économique de la crise sur le secteur culturel

On estime que 90% des 60 000 musées du monde font l’objet de fermeture totale ou partielle.

Les discours des gouvernements pointent que la culture est souvent reléguée à une activité de loisirs dont les maigres budgets annuels ne permettent pas de palier les besoins grandissants des structures. Déjà mise à mal dans un contexte économique tendu, le monde de la culture se trouve être lourdement impacté depuis les prémices de la crise COVID-19.

En France, la culture est gérée par le Ministère de la Culture et de la Communication avec à sa tête depuis le 16 octobre 2018 Franck Riester. Un budget annuel est alloué à la culture, et les subventions de l’État sont gérées en région par les DRAC (Direction des Affaires Culturelles).

Quel avenir pour la culture ? Quelles prévisions peuvent être envisagées pour surmonter cette crise hors norme en fonction des structures ?

Franck Riester annonçait un plan d’urgence d’aide à la Culture de 22 millions d’euros géré par les centres nationaux (CNC, CNL, CNM, CNP) :

  • musique : 10 millions
  • livre : 5 millions
  • spectacle vivant : 5 millions
  • arts plastiques : 2 millions (distribués par le CNAP – Centre National des Arts Plastiques – et les DRAC – Directions régionales des Affaires Culturelles – aux galeries, centres d’art labellisés, et artistes-auteurs).

 

Pour le marché de l’art

La nouvelle est tombée la semaine dernière : Art Paris 2020 n’est plus reportée, mais annulée. Idem pour le Salon de Montrouge, qui se voit reporter la programmation de sa 65èmeédition à 2021 à l’identique, un report inédit, c’est la première fois depuis 1955. Toujours en France, Drawing Now est également reporté. En somme, toutes les petites et grandes foires françaises sont annulées ou reportées, pour les plus optimiste, à la rentrée de septembre 2020, sinon à l’horizon du printemps 2021.

Il en est de même à l’international, à l’heure où la toute première édition de Paris Photo à New-York devait avoir lieu ce mois-ci, les 126 galeries internationales inscrites, restent chez elles. Quant à Art Basel et la Frieze New-York, ils se déclinent en ligne pour tout de même maintenir l’événement. Un séisme pour le secteur et les millions engendrés. Cause à effets : pas de foires, pas de galeries, pas de galeries, pas d’œuvres, pas d’œuvres, pas d’acquisitions …

Pour les galeries, elles tournent quant à elles avec une activité partielle des équipes et les reports de charges lorsque cela est possible. C’est environ 350 000 employés sur l’ensemble de la filière pour lesquels il faut ajouter les artistes (environ 23 représentés par chaque galerie). En moyenne, chaque galerie engage environ 30 000€ par an pour participer aux foires internationales du printemps, leurs chiffres d’affaires lors de ces foires représentant la moitié de leurs CA annuels.

Pour palier ces pertes conséquentes et éviter la tant redoutée crise des galeries de 1991, où 46% des galeries françaises ont fermé leurs portes définitivement, le CPGA (Comité Professionnel des Galeries d’Art) présidé par Marion Papillon, invoque un plan d’urgence intégrant les demandes suivantes pour faire face aux 184 millions d’euros de manque à gagner par rapport à 2019:

  • renforcer les budgets d’acquisition de l’État et des collectivités publiques
  • appliquer systématiquement le 1% artistique
  • mettre en place des avantages fiscaux pour les collectionneurs privés, au même titre que le dispositif existant pour les entreprises
  • pérenniser les PTZ (prêts à taux zéro) pour les galeries
  • accorder les annulations des foires sans coût de celles-ci
  • lancer des cessions d’acquisitions exceptionnelles de la part des fondations d’entreprises

L’ensemble des mesures de soutiens à l’égard des galeries sont énoncées sur le site du CPGA.

Les maisons de vente sont elles aussi impactées et de plein fouet. Nous entendons chaque année les ventes record de telle ou telle institution qui se comptent en milliards. Celles-ci prennent les devant, face à ce marché en berne … Sotheby’s en Angleterre et aux Etats-Unis par exemple, annonçait 12% de ses employés au chômage technique, des suppressions d’emplois, 20% de baisse des salaires et la suppression des primes.

 

Pour les institutions muséales et centres d’art privés et publics

En Europe, le réseau NEMO – Réseau des organisations européennes des musées – association regroupant quelque 30 000 musées européens, a mené une enquête jusqu’au 17 avril pour la commission européenne et l’ICOM (International Council of Museum), catégorisant les effets du COVID-19 sur les musées en Europe.

Les premiers résultats recueillis auprès de 650 musées sont alarmants : ceux implantés dans les capitales touristiques accusent des pertes de 75 % à 80 %. 1 % des musées interrogés perdent chaque semaine jusqu’à 30 000 euros, et 5 % affichent un trou hebdomadaire de 50 000 euros.

Si les établissements publics européens bénéficient d’aides et subventions d’état, à contrario les établissements américains par exemple sont tributaires des fonds privés.

Laura Lott, présidente de l’American Alliance of Museums, chiffre les pertes de ses 35 000 membres à quelque 33 millions de dollars (30 millions d’euros) par jour de fermeture. Le Metropolitan Museum of Art, qui ne prévoit pas de réouverture avant juillet, évalue le coût de l’épidémie à 100 millions de dollars au bas mot.

Jour après jour, les grands musées américains annoncent des plans de licenciements massifs. Le Musée des beaux-arts de Boston, dont les pertes ont grimpé à 1,4 million de dollars depuis la mi-mars, selon le site wbur.org, se sépare de près de la moitié de ses 750 employés. Le New Museum of Contemporary Art de New York a congédié un tiers de son personnel, tandis que le Musée d’art contemporain du Massachusetts (Mass MoCA) va remercier 120 employés, soit 72 % de ses effectifs.

Combien de temps pourront-ils tenir si les fermetures et les difficultés financières se prolongent au delà du déconfinement progressif : l’Indianapolis Contemporary a d’ores et déjà fermé après 19 ans d’activité et après l’arrivée de sa nouvelle directrice en janvier.

 

Pour les artistes vivants

En France, Bruno Lemaire, Ministre de l’économie et des finances, a annoncé que l’aide du fonds de solidarité (qui passe de 1 à 7 milliards d’euros) pour les TPE (très petites entreprises) et indépendants (artistes inclus) s’élèverait à 1 500€ mensuel pendant la crise sanitaire, mais elle pourrait être calculée à partir d’une baisse de 50% des revenus par rapport à la moyenne des revenus des 12 mois de 2019 (et non deux mois sur mars et avril comme annoncé initialement). Par ailleurs, guides, conférenciers et interprètes auraient accès à ce fond de solidarité.

Des mesures exceptionnelles de soutien ainsi qu’un plan de continuité ont été mis en place par le CNAP (Centre National des Arts Plastiques) à la suite des annonces du Ministre de la Culture. Ces mesures seront destinées aussi bien aux artistes qu’aux professionnels de l’art en général. Un fonds d’urgence est par ailleurs proposé afin de compenser les pertes de rémunération subies par des artistes et autres acteurs du monde de l’art pour des expositions, des commissariats ou des activités de médiation annulés. De même, une Commission d’acquisition et de commande exceptionnelle à destination des galeries françaises pour les artistes contraints d’annuler des expositions ainsi que les participations aux foires pendant la durée du confinement est en-cours de constitution. Enfin, la continuité des projets de commandes engagés ou programmés est maintenue selon les calendriers prévus.

En conclusion, ces mesures ayant été récemment annoncées, elles sont susceptibles d’évoluer et devront être précisées. Quels en sont les contours, les conditions d’attribution, les artistes concernés et les structures éligibles. Pour des précisions quant à l’éligibilité des aides, à leur hauteur et à leurs modalités, nous vous recommandons de suivre les actualités sur le site du CNAP et les annonces du Gouvernement.

 

Une question nous taraude tous à l’écoute de ces annonces, comment le quotidien des artistes et des structures pourra effectivement être sauvé ? Comment la priorisation sera équilibrée ? Sur quels critères d’urgence et de territoires ?

 

Redistribution des moyens et compétences : la réaffectation des budgets et des personnes pour sauver les structures ?

D’après l’étude NEMO, 13,4% des institutions ont augmenté leur budget pour les activités numériques depuis le début de la crise. Les postes se réorganisent et s’adaptent pour répondre à ces nouveaux enjeux lorsque cela est possible, et de nombreuses institutions lancent le pari de l’éducation en ligne. Pour l’ensemble des structures ? Prioriser les dépenses, basculer ou augmenter vers le numérique les financements, au détriment des collections et des expositions temporaires, à coup sûr revus à la baisse, diminuer ou limiter les échanges d’œuvres à travers le monde. Mais au regard de cette transformation, nombre de collections dorment en réserves, les expositions des collections internes peuvent avoir la part belle, le temps de se relever.

 

 

 

 

Sources

 

 

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